Amandine Duffoux est enseignant-chercheur à l’EIGSI depuis 2011. Coordinatrice de la dominante Intégration des Réseaux et Systèmes d’Information (IRSI), elle s’intéresse particulièrement aux nouvelles technologies de l’information et à leur intégration pédagogique.
Amandine a été retenue par les organisateurs du TEDx La Rochelle pour participer à ce premier cycle de conférences qui a eu lieu le 5 octobre 2013.
Amandine, le sujet de votre conférence est la gamification, le jeu comme moteur pédagogique. Vous êtes sérieuse ? Est-ce que le jeu a sa place en école d’ingénieur ?
Je suis tout à fait sérieuse, le jeu est un excellent vecteur de motivation et d’apprentissage, même dans une école d’ingénieurs ! Le jeu nous parait naturel pour de jeunes enfants mais il est vrai que cela nous parait moins adapté dans l’enseignement supérieur, le fameux mythe du « il faut souffrir pour bien apprendre ». Et pourtant, essayez de vous souvenir de vos cours, que retenez-vous ? Des cours plutôt originaux, des expériences ou des heures passées au fond de l’amphi à bailler ? Les grandes universités américaines l’ont bien compris. Le MIT met en avant depuis de nombreuses années ses enseignants qui osent enseigner différemment, comme l’incroyable Walter Lewinn, enseignant de Sciences Physiques. Quant à Harvard, elle agit depuis longtemps dans ce domaine et vient de créer (septembre 2013) un poste spécifique de vice-président chargé des questions de pédagogie avancée, qui aura notamment la tache de développer de nouveaux modes d’apprentissage, comme la gamification et les serious games. Et ce ne sont que 2 exemples parmi tant d’autres.
Justement, le terme Serious Game est un mot à la mode. On l’entend partout. On le met à toutes les sauces et on a tendance à le confondre avec Gamification. Quelle est la différence entre les deux ?
Un serious game est un jeu vidéo qui va être utilisé à des fins pédagogiques. Il respecte les principes du jeu vidéo : interface agréable, défis, jouabilité, points de score… Il s’agit soit d’un jeu développé spécifiquement intégrant des notions plus « sérieuses » directement dans le jeu, soit il s’agit d’un jeu détourné pour apprendre (Comme utiliser MineCraft pour apprendre à construire des formes spécifiques ou compter).
La gamification est un concept un peu plus large puisqu’on ne reste pas cantonné à l’utilisation de jeux vidéo mais on peut utiliser n’importe quel ressort du jeu pour rendre l’apprentissage plus ludique. Il existe de nombreux moyens de faire de la gamification en cours : mettre en place des points de score (plutôt que des notes classiques), lancer des challenges aux étudiants, leur faire eux-mêmes développer un jeu (de plateau ou video), utiliser la pédagogie par projets : les faire travailler sur un grand projet progressif leur permettant de franchir les niveaux… Les possibilités sont quasiment infinies.
Vous utilisez régulièrement la gamification dans vos cours et cela depuis plusieurs années maintenant. Quel plus la gamification apporte-t-elle à un cours et à vos élèves ?
En plus du fait que les étudiants ont le sourire en venant en cours et que c’est un plaisir pour moi également ? En fait, en comparant, pour des mêmes cours, l’approche « classique » et l’approche gamifiée, je vois 3 grands points positifs pour les cours gamifiés :
– L’investissement des étudiants : nous seulement ils sont présents et participatifs en cours mais même en dehors, je ne compte plus les mails reçus le dimanche ou au milieu de la nuit parce qu’ils se retrouvent bloqués sur un point du jeu/cours. J’ai même eu des étudiants qui ont choisi de continuer à travailler sur un jeu pendant les vacances alors que le module était terminé.
– Les résultats : Lors de mes premiers essais de gamification de cours, j’ai volontairement utilisé le même type d’évaluation finale par rapport aux années où j’avais donné des cours plus classiques pour avoir des points de comparaison. Selon les types de cours, j’ai remarqué jusqu’à 2,5 points de moyenne en plus pour la promotion. Et non seulement les résultats étaient globalement meilleurs pour tous mais avec un fort impact sur les extrêmes. D’un côté, j’ai remarqué qu’il y avait beaucoup moins d’étudiants laissés sur le carreau, ils s’accrochent, avancent à leur rythme et atteignent tous les objectifs fixés. De l’autre côté, les bons étudiants peuvent maitriser des notions auxquelles je n’aurais même pas osé rêver ! Et on peut le comprendre, un étudiant qui a déjà un très bon niveau dans une matière ne pourra jamais avoir plus de 20 et donc fera ce qu’il faut pour avoir une excellente note mais n’ira pas plus loin. Maintenant si je transforme le cours et qu’il n’y a plus de note, seulement des défis à relever et proposer la meilleure solution possible, vous n’avez plus de barrière, peu importe la note, ce qui compte c’est de « gagner » le jeu. Dans ces conditions il n’est pas rare d’avoir des étudiants qui se retrouveraient, en situation classique, avec des moyennes de 25…
– Et enfin, les bienfaits durent : Lorsque l’on retrouve ces étudiants en année supérieure, on remarque qu’ils ont bien mieux retenu les notions abordées dans le cadre d’un cours gamifié que dans le cadre d’un cours classique. Et ça, c’est très important pour l’enseignante que je suis.
Ce 5 octobre 2013, vous êtes intervenue au premier TEDx La Rochelle. Les TED sont internationalement connus pour rassembler des innovateurs, des personnes qui veulent partager leurs idées, des idées nouvelles. Et vous qu’est-ce qui vous a motivé à participer activement à cet événement ?
L’envie de partager cette expérience que j’ai acquise depuis un certain nombre d’années. Je sais qu’il existe déjà des expérimentations en France mais les gens n’osent pas forcément en parler. Jouer en cours, ça ne fait pas sérieux ! Et puis ce n’est pas toujours évident à faire passer auprès des étudiants, de leurs parents, de certains collègues et même de certaines directions. J’ai une chance inouïe, je travaille dans une école qui nous suit mes collègues et moi dans ces expérimentations et je voulais que les gens n’aient plus peur de jouer pour apprendre, qu’ils se rendent compte qu’il y a un vrai intérêt à utiliser de nouvelles approches comme la gamification, que les résultats sont là et qu’ils n’aient pas peur de changer et d’innover. Un peu comme moi qui ai trouvé une école où j’ai la liberté d’innover !