Nous avons posé une question sur le confinement et ses impacts sur nos fonctionnements à Nathalie ROUSSELLE, Enseignante à l’EIGSI responsable du Département Humanités & Connaissances Organisationnelles. Elle nous livre ici sa vision.
Arrêtez-vous…prenez le temps de cette lecture.
EIGSI : Comment vivre cette situation exceptionnelle de confinement en nous appuyant chacun(e) sur nos soft skills ?
N.Rousselle : Le confinement nous impose l’expérience du télétravail. Un symbole de la mutation des modes de travail du XXIème siècle pourtant si éloigné du principe de nomadisme et du co-working !
A défaut de co-working, chacun se construit son cocooning-working : organisation de son espace de travail propice à la créativité et à la sérénité. Autant de lieux de travail que de collaborateurs, les mêmes mots résonnent : réseau, connexion, coopération, échanges, communauté.
Alors que le nomadisme est apparu sous l’effet d’un équipement numérique, généralisé, miniaturisé, le télétravail quant à lui permet d’allier contraintes personnelles et professionnelles.
Notre actuelle situation de télétravail nous fait vivre physiquement le « out of the box».
La box étant le QG, l’entreprise, la firme, la boite, les collègues et la communauté !
Confinement : ce repli dans notre camp de base
La situation de télétravail offre inévitablement des avantages à grand nombre de salariés. Le confinement est cependant d’une tout autre dimension. Il impose une seconde expérience, plus personnelle cette fois. Celle du repli dans le camp de base favorisant l’entre soi. De prime abord, dans une société ou l’égocentrisme prime, nous pourrions penser que cette situation est plutôt favorable. Qu’elle ne pose pas d’embarras. Il n’en est rien. Le « je » n’existant qu’à travers « l’autre », sans l’autre qui suis-je ? Une situation qui pousse à l’évaluation de son système de valeurs ainsi que le rapport aux autres.
Les adultes du XXème siècle entrevoient peut-être une façon de (re)vivre en famille. Les enfants insouciants, inconscients de la gravité de la situation pourront y trouver un semblant d’aventure et un « goût de vacances ». Mais pour les jeunes adultes (adolescents et étudiants), le confinement rime avec régression et privation. Difficile de retourner vivre sous l’autorité parentale. Dur, dur de renoncer à la part de vie d’adulte en friches. Pas simple de ne plus se sentir libre de ses mouvements, de ses débordements et de ses excès….
Ce qu’engendre le confinement : entre peurs et solidarités
Dans les premiers temps du confinement, nous avons observé des réactions primaires. Elles peuvent nous rappeler des heures sombres de notre histoire. L’exode des citadins vers les campagnes. L’exclusion et l’ostracisme (aux frontières, aux ponts, aux routes). La peur provoquant sur-achats de marchandises (on se souviendra longtemps des caddies remplis de papier toilette). Le déni. La protestation, « les transgressions » provoquant plus de sévérité et d’austérité de la part des autorités.
En opposition à de vils comportements, les acceptants-conscients que l’on nomme citoyens et les élans de solidarité avec 36000 réservistes de la sécurité civile, des chaines de solidarité locales des applaudissements de reconnaissance aux balcons à 20h00…
Alors comment vivre dans cette situation où de nouvelles contradictions apparaissent ?
A vivre en société repliés sur soi, égocentrés, nous voici aujourd’hui contraints à faire société solidairement, chacun chez soi, esseulé ou en famille.
Face à l’augmentation de la complexité du monde professionnel, il est fréquent de nous voir trépigner, zapper, courir après on ne sait plus quoi. En temps de confinement, notre relation au temps est perturbée.
Habitués dans cette époque fortement matérialiste à la satiété de consommation qui venait remplir un vide que l’on ne voulait voir, aujourd’hui nous devons affronter notre vacuité.
Nous pouvons aussi décider de voir le confinement comme un voyage initiatique. Chacun sur son bateau confronté à lui-même. Une flottille de « moi » en quête du sens …une sorte de « retour vers le futur », un carrefour intemporel : le présent, juste le présent, sans visibilité sur demain.
Un voyage proposant une expérience non seulement nouvelle pouvant être vécue avec curiosité et étonnements, une façon d’élargir le champ des possibles. Un primo voyage vierge de toute expérience passée comme on naît à la vie.
Pour gérer au mieux possible cette situation exceptionnelle, les compétences « douces » sont une réponse concrète tout comme elles le sont déjà en entreprise.
La plus évidente des Soft Skills mise en œuvre est le « Savoir gérer le changement. »
« Rien n’est permanent, sauf le changement… ». Cette maxime (Héraclite d’Ephèse), nous invite à adopter le changement comme philosophie de vie, un changement en chassant un autre.
La courbe du changement (issue des travaux d’Elisabeth Kübler-Ross) développe les différentes étapes incontournables d’un processus permettant de passer de l’état de choc et de sidération à la mise en action créative. Ainsi, l’individu qui se focalisera sur la phase ascensionnelle de la courbe pour se trouver en situation de « sérénité croissante » sera mieux armé pour gérer la situation de confinement sans la subir.
Encore faut-il avoir préalablement développé un niveau minimal de CONFIANCE, de RESILIENCE, et d’INTELLIGENCE RELATIONNELLE.
CONFIANCE
La confiance en soi se trouve une fois encore au cœur de la réflexion et s’acquiert d’une part en gardant sur soi un regard bienveillant, un œil aiguisé et une acuité de chaque instant, et d’autre part en agissant, en osant, en testant… Ce qui nécessite de développer son niveau de conscience.
C’est cette capacité à croire en soi qui permet d’oser sortir de son paradigme, de trouver des solutions innovantes et de s’ADAPTER sereinement. Savoir tirer profit d’une situation inédite à priori limitante : fixation d’objectifs nouveaux, changement des modes de fonctionnement habituels, nouvelle perspectives (ex : plan de continuité pédagogique).
« Ils peuvent, par ce qu’ils pensent qu’ils le peuvent » (Virgile)
Concernant la confiance aux autres, il n’est pas question de la confiance en chaque « autre » mais d’une confiance envers le groupe, le collectif, en sa puissance créatrice et solidaire. Cette confiance qui nous fait dire que nous ne manquerons pas de nourriture et que par conséquent il est inutile de dévaliser le premier supermarché du coin.
Ainsi, le leadership et la fibre managériale pourront s’exprimer en faisant appel à la capacité à mobiliser les énergies, à fédérer, plus généralement à l’esprit d’équipe. Comment amener le groupe à surmonter la difficulté liée au contexte, comment développer un esprit de « soutien » du groupe ?
Le groupe dans notre contexte est tout autant une cellule familiale qu’une équipe ou un groupe projet. Le leader sera alors celui qui importera les angoisses et exportera l’énergie positive nécessaire à chacun.
RESILIENCE
« Que la force me soit donnée de supporter ce qui ne peut être changé et le courage de changer ce qui peut l’être mais aussi la sagesse de distinguer l’un de l’autre. » (Marc–Aurèle.)
Un facteur multiplicateur tient en la faculté de résilience de chacun. La résilience qui permettra de ne pas se laisser happer par la peur et ainsi de libérer son esprit d’analyse & esprit critique : Capacité à rationaliser en situation de crise, faire le tri parmi les informations communiquées (contradictoire, tronquées, non-argumentées etc), identifier les logiques d’acteurs pour comprendre cette situation, les dynamiques en œuvre, avoir une vision claire et objective, être ainsi en mesure d’anticiper…
Ainsi, chacun peut dégager une part de sa créativité et résoudre les problèmes avec ses contraintes (garde d’enfant, les moyens limités etc.), atteindre ses objectifs pro/perso en situation dégradée ou avec des possibilités limitées (moyens de communication etc).
Nous assistons ainsi à une forme de lâcher prise, d’accueil et de compréhension de ses propres émotions comme de celles des autres. Une « juste » place faite à l’empathie, et plus largement à l’intelligence émotionnelle face au changement, à la promiscuité, à l’isolement, à la maladie, au deuil « en solitaire ».
INTELLIGENCE RELATIONNELLE
Tout contexte de crise amène son lot de tensions sur fond de peurs entretenant un état de distress permanent (stress négatif en opposition à l’Eustress, stress positif et stimulant), niveau de stress très largement entretenu par la surenchère médiatique.
Aussi, absorber le stress, « relationner », positiver sont d’essentielles Soft-Skills ouvrant la porte de l’intelligence relationnelle pour apaiser de manière efficace les conflits (intérieur et familiaux professionnels…), les conflits latents et émergents du fait de cette situation « paranormale » que ce soit en vase clos ou à distance ! Concernant spécifiquement la Soft-Skills « gestion du stress », elle sera réellement visible et éprouvée si le confinement se prolonge, lorsque chacun aura le sentiment d’avoir épuisé tous les moyens en sa possession pour « s’occuper » et « occuper ».
Si la situation exceptionnelle permet à chacun de choisir ses contacts (professionnels ou via les réseaux sociaux), d’occuper sa place sans laisser le plus charismatique occuper l’espace ; si la distance affective, requise en toute circonstance, prend tout son sens ici par la distance physique imposée, il n’en reste pas moins que nous ne savons pas tous garder nos distances dans la relation à l’autre, qu’il soit toxique où inspirant. C’est tout l’enjeu de l’intelligence relationnelle.
En dernier lieu, notre capacité à inspirer la sérénité et à adopter une attitude positive rentrent en jeu comme « valeurs sûres ». Au-delà du contexte sanitaire qui propose une expérience nouvelle dans la relation à l’autre, faire émerger la part d’optimisme qui sommeille en nous, garder de façon permanente l’espoir « du beau temps qui vient après l’orage », sera d’un grand recours dans notre relation à l’autre.
La seconde évidence des Soft Skills : la capacité de chacun à rester concentré sur les objectifs en l’absence de cadre
Ne plus délester la responsabilité de la gestion de sa motivation/implication et savoir l’entretenir soi-même : un enjeu pour chacun ! Découvrir par soi-même les réponses pour trouver la juste posture adulte et responsable trop souvent perdue par lâcheté et choix de facilité.
La lâcheté, c’est la peur consentie, le courage, c’est la peur vaincue (Legouve).
Faire preuve de courage, assumer le contexte et son lot de contraintes, assumer les résultats produits qui seront à vous seul imputables et mettre en œuvre toute sa capacité à œuvrer en toute autonomie.
L’être humain est un être d’habitude qui a jalonné son quotidien de rites, de petites routines. Face à la perte de repères spatio-temporels qu’impose la situation, savoir gérer son temps, s’organiser, planifier restent essentiel pour tendre vers l’efficacité.
«Penser global et agir localement »
En dernier lieu, prendre son destin en main permet de s’ouvrir à sa propre conscience éthique et globale pour servir l’intérêt général. S’interroger sur la fragilité de nos sociétés, la place de chacun dans son environnement, s’interroger sur sa propre valeur sociale. Savoir questionner et prendre du recul.
…. Tout comme pour la performance de l’entreprise, les soft skills font partie de l’équipement de survie du confinement. Elles régissent notre rapport aux autres, au monde et donc à nous-mêmes. Les soft skills sont d’autant plus précieuses dans un contexte nouveau et complexe. Percevoir, traiter l’information, décider et agir est un processus général et universel à toute situation qui se retrouve dans la gestion de crise, de changement, de confinement.
Et s’il fallait, comme pour se rassurer, trouver un sens à cette situation ?
Nous pourrions la considérer comme un puissant révélateur de la présence ou de l’absence de ces soft skills et donc une formidable opportunité de les développer. Plus philosophiquement, comme une résurgence de notre condition originelle. Plus mystiquement, un rappel à l’ordre d’une condition et d’un système de valeurs peut être bafoués.
Une certitude : en capitalisant sur cette expérience exceptionnelle, nos modes de vie devront être examinés sans peur, nos croyances révisées.
Quelles seront nos nouvelles lignes de conduite ?
Place à l’esprit critique, à la remise en cause, à l’innovation, à l’ouverture.